L'Occupation
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C'est une femme qui raconte, en même temps qu'elle se raconte. Tragédie banale s'il en est, son amant, W., l'a quittée. Enfin presque quittée. Ils continuent de se voir, tandis que W. réserve désormais sa passion et son sexe à une inconnue, professeur d'histoire à l'université de Paris III. Pourquoi écrire, qu'écrire alors ? Sans doute, et la narratrice le reconnaît e...
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C'est une femme qui raconte, en même temps qu'elle se raconte. Tragédie banale s'il en est, son amant, W., l'a quittée. Enfin presque quittée. Ils continuent de se voir, tandis que W. réserve désormais sa passion et son sexe à une inconnue, professeur d'histoire à l'université de Paris III. Pourquoi écrire, qu'écrire alors ? Sans doute, et la narratrice le reconnaît elle-même, les mots ont-ils une vocation cathartique, qui permet de réduire en l'exprimant le trop-plein de la jalousie qui ronge les derniers souvenirs, promesse d'un futur non tenu. S'ensuit une aussi phatique que pathétique fuite en avant pour retrouver la trace de l'Autre et apaiser la douleur de ne pas savoir. Ne pas savoir son nom, ne pas savoir ce qu'elle est ni à quoi, au juste, elle ressemble…
Annie Ernaux n'a pas son pareil pour embarquer crescendo son lecteur dans cette valse à trois temps (rupture, réminiscence, évacuation) qui sacralise l'amour déçu-déchu. À la différence du pseudo-intimiste À ce soir de Laure Adler, L'Occupation parvient à mettre l'accent sur la source de la souffrance sentimentale : ce par quoi l'autre s'absente, ombre parmi les ombres, et vous considère comme un fantôme décharné. Entre pudeur et impuissance, la fébrilité de l'héroïne qui cherche par tous les moyens à connaître le nom de l'élue du cœur de W. fait peine à voir/lire. À l'image de ce bref récit, le chagrin ne saurait toutefois durer qu'un temps, avant que la vengeance puis les rituels sacrificatoires ne prennent le relais…
Dans de belles pages de ce journal quasi public, l'auteur porte l'écriture à son incandescence en l'assignant à l'art de "planter des aiguilles" ou de symboliser la "jalousie du réel". Ainsi cette "occupation" – au double sens d'activités mentale et physique tendues vers un but – résonne-t-elle paradoxalement du creux de la dépossession et de la perte invisible de l'enchantement. Les mots seuls, ces mêmes mots qui blessent et colmatent toutes les béances, ces mots si chers à Annie Ernaux amèneront son personnage à saisir en quoi la vérité est toujours au-delà de la réalité. Et chacun, à concevoir que c'est parce qu'on ne construit jamais sur du vide qu'il importe de nommer les gouffres qui s'ouvrent d'aventure en nous. La parole, comme l'amitié, qui demeure parfois quand l'amour s'écroule, est un lien invisible plus fort que tous les liens visibles. --Frédéric Grolleau --Ce texte fait référence à l'édition Relié .
Présentation de l'éditeur
J'avais quitté W. Quelques mois après, il m'a annoncé qu'il allait vivre avec une femme, dont il a refusé de me dire le nom. A partir de ce moment, je suis tombée dans la jalousie. L'image et l'existence de l'autre femme n'ont cessé de m'obséder, comme si elle était entrée en moi. C'est cette occupation que je décris. A. E